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Des données essentielles que l'on a oublié de nous donner

 

UTILITE D’UN NOUVEL AEROPORT?

DES DONNEES ESSENTIELLES QUE L’ON A OUBLIE DE NOUS COMMUNIQUER  

Septembre 2001

Frédéric Zagury
Docteur  es-Sciences
ancien éléve de l’Ecole Normale Supérieure
fzagury@wanadoo.fr

 

Toute expertise devrait s’appuyer sur un “état des lieux”, une description précise de la situation existante dont l’expertise cherche à évaluer les possibilités d’évolution. Or, pour le cas de la justification de la nécessité d’un nouvel aéroport en région parisienne, on s’aperçoit que ce travail n’a pas été fait, ou en tout cas n’est pas présenté au public dans le ‘Cahier de base du maître d’ouvrage’ établi par la DUCSAI. Ce cahier comporte bien une étude approfondie du profil des passagers qui fréquentent les aéroports de Paris, mais aucune analyse précise en ce qui concerne l’organisation des mouvements d’avions, par exemple de leur répartition par destination. C’est d’autant plus dommage que ce n’est évidemment pas la croissance du nombre de passagers qui justifie à elle seule la construction d’un aéroport, mais la prévision d’un accroissement important du nombre de mouvements.

La seule étude sur le nombre de mouvements d’avions de ou vers Paris donnée dans le document DUCSAI est le tableau de la page 70 de son édition du 8/8/2001 que je reproduis en partie (tableau 1). Le tableau donne les potentialités à terme en nombre de mouvements et en nombre de passagers (cette dernière donnée est plus arbitraire car l’emport moyen et donc le nombre de passagers potentiels peuvent être augmentés) des principaux aéroports d’Europe:

-Paris est, avec Londres, le premier aéroport d’Europe en capacités potentielles, loin devant les autres aéroports européens: mais alors pourquoi Paris est-elle la seule ville d’Europe à envisager la création d’un aéroport supplémentaire? D’autres créations sont envisagées par d’autres villes, mais en  remplacement d’aéroports existants. Et pourquoi Paris n’est-il aujourd’hui que “la troisième place aéroportuaire d’Europe” (intervention DUCSAI du 7/09/01 de Mme Le Thi Mai de l’Association des Compagnies Européennes, AEA) derrière Francfort, dont la capacité à terme est presque moitié moindre en nombre de mouvements?

-le potentiel de mouvements sur Paris et sur Londres est limité à environ 1 million de mouvements par an. Cela ne correspond pas seulement à un seuil de saturation des pistes mais surtout au niveau au-delà duquel il devient difficile de gérer l’espace aérien et ses nuisances: vols nombreux dans un espace réduit, nécessité de superposer les avions en couches et augmentation des approches à basse altitude donc du bruit à de grandes distances de l’aéroport. Or, nous en sommes déjà à 750 000 mouvements, sans compter les survols. A quoi servirait un nouvel aéroport si on ne peut accepter un nombre significativement plus grand d’avions dans le ciel de Paris et de sa région? S’il est éloigné de Paris il devra desservir les aéroports de province et d’Europe, ce qui implique un nombre très important de vols supplémentaires incompatibles avec la saturation du ciel. S’il est suffisamment proche de Roissy ou d’Orly pour bénéficier du “réseau secondaire de liaisons courtes” de ces aéroports, il revient de fait à un agrandissement de Roissy ou d’Orly, incompatible avec les protestations des riverains.

-enfin, il est stupéfiant de voir qu’à capacité de nombre de mouvements équivalents, Paris ne pourrait accueillir que 90 millions de passagers par an contre 145 millions à Londres. Il est clair que si les capacités de Paris sont celles de Londres, la question d’une nouvelle plate-forme ne se pose pas.

Comment en est-on venu à saturer les aéroports de Paris avec seulement 70 millions de passagers par an (58 si on déduit les transits, comptés 2 fois)? La figure 1 montre les départs proposés un jour de semaine ordinaire de 2001 par Air France. Air France est la première utilisatrice des aéroports de Paris et assure plus de la moitié des mouvements sur la capitale. On voit l’énorme prépondérance des vols de proximité vers les aéroports de province: 255 départs par jour (hors Corse). Et vers les grandes villes européennes proches distantes de moins de 1000km: 110 départs par jour. Soit au total 360 départs court-courriers par jour pour Air France. En comparaison, il y a seulement 85 départs vers tous les autres continents réunis.

Si on regarde maintenant (tableau 2) tous les échanges aériens en 2000 entre Paris et le reste du monde, toutes compagnies confondues, les principales villes desservies sont, en nombre de mouvements, Londres, Toulouse, Marseille, Nice, avec chacune 30 000 mouvements par an environ. Viennent ensuite les autres villes françaises et européennes, pour la plupart proches.  New-York, premier des vols longue distances, n’arrive qu’en 18e position avec 7500 mouvements par an (quatre fois moins que Marseille).

La question se pose donc de savoir si l’on est prêt à investir entre 20 (DUCSAI) et 60 (la plupart des autres estimations) milliards de francs, et à sacrifier de façon irréversible l’identité d’une région de France, pour continuer, autant que faire se peut, à faire des aller-retours entre Paris et Marseille ou Londres? Sur les principales destinations proches le TGV s’installe progressivement avec un taux de report avion sur train connu en fonction de la distance du trajet. Cela permet d’estimer le gain en nombre de passagers qu’entraîne la suppression d’une partie des vols de proximité, lesquels emportent très peu de passagers (entre 50 et 100 en moyenne), et leur remplacement par des vols moyenne ou longue distances dont l’emport est 3 à 5 fois supérieur. Il est très facile de montrer qu’un report de 30% des vols de proximité sur des vols moyens ou longs courriers suffit à désengorger les aéroports de Paris et à absorber, sans augmenter le nombre de mouvements, la croissance la plus optimiste du nombre de passagers sur le trafic international prévu par la DGAC pour les 30 ans à venir. La diminution du nombre de mouvements de courte distance peut aussi être incitée par des mesures connues: taxation du kérosène, inclusion des coûts externes, augmentation du prix du billet....

En conclusion, il est regrettable que la DUCSAI ait manifesté si peu de curiosité et d’intérêt pour ce qui devrait être à l’origine de la décision ou non de construire un aéroport supplémentaire en région parisienne: le nombre de mouvements de ou vers Paris et leur répartition suivant la destination, et les possibilités d’évolution en tenant compte de la saturation de l’espace aérien parisien. Les scénarios DGAC arguent d’une probable augmentation du PKT (passager-km-transporté, unité qui donne un poids important aux passagers longues distances), anticipée par l’IATA, pour prédire une forte augmentation  du nombre de passagers passant par Paris dans les années à venir. Mais, si on peut très bien admettre l’augmentation du PKT -toutefois extrêmement dépendante d’aléas conjoncturels qui se répercutent sur le prix du billet- son utilisation dans le contexte parisien est déplacée car cette unité décrit l’état des trafics longue et moyenne distances, et masque la réalité d’un trafic parisien dominé de beaucoup par les mouvements de proximité (plus d’un vol sur deux). La suppression d’un de ces mouvements sur trois, et son report sur une liaison longue avec un emport trois à cinq fois supérieur, permet de doubler le nombre de passagers sur Paris pour un nombre égal de mouvements. Un calcul simple, que j’ai présenté dans une précédente contribution à la DUCSAI, démontre que la suppression de 200 départs court-courriers par jour (il y en a env. 550, dont env. 360 assurés par Air France) donne une capacité de report de plus de 40 millions de passagers par an pour des vols long et moyen courriers. Cela qui couvre largement les 25 millions manquant en 2020 dans les scénarios DGAC et montre l’importance du gain de productivité auquel conduirait l’utilisation rationnelle des aéroports de Paris.

La France souffre d’un réseau trop riche d’aéroports, que ne possède pas l’Angleterre par exemple, et de la mauvaise gestion d’une très bonne position stratégique au sein de l’Europe. L’utilisation centralisée sur Paris des aéroports de province conduit à une auto-intoxication du trafic aérien français. Le ciel parisien est effectivement saturé aujourd’hui, mais par l’utilisation intempestive des aéroports nationaux et européens proches pour des aller-retours avec Paris. Une diminution du trafic aérien Paris-province permettrait un gain de productivité pour Paris ainsi que pour les aéroports de province, libérés pour d’autres formes de trafic plus adaptées aux vocations d’un aéroport. Le report partiel des principales de ces dessertes sur le TGV, ainsi que celles des principaux aéroports proches d’Europe, se fera automatiquement avec l’installation progressive du réseau TGV. Un aéroport parisien supplémentaire ne peut au contraire qu’accentuer le centralisme et la saturation des voies de communication sur Paris, augmenter nuisances et pollution, et ne répondra certainement pas à l’attente qu’il suscite chez certains.

 

TABLEAU 1: d’aprés le cahier DUCSAI, page 70 de l’édition du 8 août 2001

ESTIMATION DES CAPACITES POTENTIELLES DES PRINCIPAUX AEROPORTS EUROPÉENS

Aéroports

PASSAGERS

 (million de passagers par an)

MOUVEMENTS

(million de mouvements par an)

Londres

145

1.065

Paris

90 (1)

1

Amsterdam

70

0.600

Madrid

65

Nr

Francfort

60

0.600

 

Source : BIPE-DGAC

(1)en tenant compte des seuils retenus pour les aéroports concernés



Tableau 2:

PRINCIPAUX AEROPORTS DESSERVIS A PARTIR DE PARIS en 2000

(classés par nombre de mouvements décroissants, toutes compagnies confondues)

 

 

 

Aéroports

PAYS

MOUVEMENTS

1

Londres

G.B.

32693

2

Toulouse

FRANCE

32390

3

Marseille

FRANCE

29952

4

Nice

FRANCE

24580

5

Milan

Italie

14771

6

Amsterdam

Pays-Bas

12262

7

Rome

Italie

12159

8

Francfort

Allemagne

11949

9

Bordeaux

France

11121

10

Madrid

Espagne

11120

11

Zurich

Suisse

9287

12

Montpellier

France

9064

13

Geneve

Suisse

8742

14

Munich

Allemagne

8261

15

Birmingham

G.B.

7871

16

Manchester

G.B.

7713

17

Cologne-Bonn

Allemagne

7590

18

New York

USA

7532

 


FIGURE 1

 

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