retour "coup de gueule"

Réaction à l’encart de quatre pages du Courrier Picard du 19 janvier ayant trait au projet de  3ème aéroport "autours de Chaulnes". 

(courrier adressé au Courrier Picard, en réaction, le 22 janvier.)

Dans le "publi-reportage" publié dans le courrier picard du 19 janvier (les 4 pages centrales intitulées "Communiqué" avec l’estampille République Française et Marianne en entête) le gouvernement, pour mieux "vendre" son projet aux Picards a créé, par la voix de son préfet, les trois slogans "forts" suivants :

Ces slogans, qui sont loin d’être innocents, m’interpellent de la façon suivante :

D’une nécessité nationale faisons un grand atout régional.

De la nécessité nationale?

Il faudrait choisir : Ou l’aéroport est "parisien" et la nécessité pourrait être nationale ou l’aéroport est "Européen" et la nécessité est européenne. Dans ce cas nos voisins européens (essentiellement la Belgique et le Royaume Uni) auraient dû être consultés (directive communautaire du 27 juin 1985 telle que modifiée par la Directive du 3 mars 1997)

Par ailleurs, la nécessité "nationale" est très loin d’être prouvée.
En fait, la seule urgente nécessité et ardente obligation, qui a été volontairement ignorée, est de s’interroger globalement sur l’avenir de nos infrastructures aéroportuaires, en tenant compte des différents paramètres que sont :

 

Quelques exemples montrent cette interrogation légitime sur la nécessité :

Lors de la consultation DUCSAI, une étude demandée par différentes associations et fédérations, dont le principe a été accepté du bout des lèvres et dont les résultats connus en fin de processus ont été globalement négligés, montre que la nécessité d’un nouvel aéroport dans le Grand Bassin Parisien est loin d’être avérée. Cette étude conclue qu’il conviendrait de mener des études complémentaires et qu’il faudrait également se demander dans quelle mesure la création d’un aéroport supplémentaire allégerait réellement la demande dans les aéroports parisiens existants. Ces études complémentaires seront-elles menées un jour ?

L'excellente contribution précise et documentée de Frédéric Zagury lors du débat Ducsai (totalement ignorée par ses organisateurs et les prévisionnistes de l’état) montre que cette nécessité est loin d’être évidente, en effet si l’on regarde les principaux échanges aériens entre Paris et le reste du monde, les principales villes desservies sont, en nombre de mouvements, Londres, Toulouse, Marseille, Nice, avec chacune 30 000 mouvements par an environ. Viennent ensuite les autres villes françaises et européennes, pour la plupart proches. La question se pose donc de savoir si l’on est prêt à investir près de 60 milliards de francs à faire des aller-retours entre Paris et Marseille ou Londres tout en concurrençant le TGV !

Les projections annoncées pour les 20 prochaines années sont loin d’être certaines. Ces projections sont basées sur le principe que ce qui s’est passé les 15 dernières années va se reproduire les 15 suivantes. Pour cela, il faut que la valeur du billet aérien diminue de 1,6% par an. Or, personne ne s’est intéressé à l’analyse des difficultés que connaissent les compagnies aériennes depuis plus d’un an. Si elles perdent toutes de l’argent, c’est que le prix du billet est trop bas. Si le prix du billet augmente, l’augmentation du trafic ne sera plus au rendez-vous !

Par ailleurs, si l’on regarde les statistiques du ministère des transports on s'aperçoit d’une chute significative du trafic dans les "aéroports de Paris" qui a commencé mi-1998 pour le trafic intérieur et en... janvier 2001 pour l’international, bien avant les événements de New-York!

Construire un troisième aéroport en rase campagne à "proximité" de Paris, est une insulte au bon sens, alors qu'aucune grande ville française ne dispose d'un aéroport international digne de ce nom. On en rigole en Allemagne, où il va de soi qu'on peut s'envoler pour l'étranger au départ de Hambourg, Berlin, Francfort, Munich, Cologne ou Düsseldorf. On pourrait tout aussi bien s’appuyer sur les aéroports de provinces (comme le font nos voisins européens) pour absorber l’augmentation de trafic.

 

Un grand atout régional, ou un territoire sacrifié, … au pire stérilisé?

Pour que ce projet devienne un "grand" atout régional, il faudrait déjà qu’il soit une nécessité nationale.

Le gouvernement et le préfet prennent des risques. Car si la nécessité n’est pas là, que le projet n’avance pas, (comme celui de Beauvilliers qui n’a pas bougé en 5 ans), que deviendront alors les 3 000 hectares sacrifiés ? Une friche industrielle ? Que deviendront les entreprises agroalimentaires qui ne pourront prendre le risque de continuer leurs investissements ?

Savez-vous qu’à Beauvilliers, tous les projets importants de développement d’infrastructures et de développements industriels ont été «de facto» et sans aucun arrêté gelés pendant plus de 5 ans? Savez-vous qu’à Vatry, bien que ce soit un aéroport spécialisé de fret, le trafic quotidien n’est que de 3 avions? Pourquoi? Parce qu’Air France et ADP «boudent» VATRY qui s’est développé trop loin de Roissy pour qu’il fonctionne de façon coordonnée avec CDG.

Et la distance du site "des environs de" Chaulnes par rapport à Paris (125 km), est-ce un grand atout régional? Alors que très peu d'aéroports, y compris les plus récents, sont situés à plus de 50 km du centre-ville. Alors que le site de Montréal-Mirabel, considéré comme lointain quoique à seulement 53 km du centre ville, a été fermé au trafic commercial et réservé aux charters. Que celui de Tokio-Narita, considéré comme un cauchemar par bien des voyageurs, est à 67 km de la ville.

Qui irait prendre l’avion dans les environs de Chaulnes alors que le coeur de Paris serait à 20 mn de Roissy avec CDG Express?

Pas les Parisiens qui pourront prendre un transport rapide vers Roissy un aéroport aux destinations multiples. Pas les Franciliens qui ne savent déjà pas comment se rendre à Roissy en raison d’un système de transport en étoile sur Paris et prennent à la quasi-totalité des moyens de transport individuel ( voiture personnelle, taxi, voiture de location….). Pas les provinciaux qui se détourneront d’une absurdité et qui retourneront comme au début des années 90 pour aller voir l’offre de nos partenaires européens, si la compagnie nationale n’a pas été capable de fixer leur demande des grands aéroports régionaux proche de chez eux et bien desservis par le TGV avec des gares terminales et non des gares de passage.

Si l’on se réfère à un sondage effectué par le site "expression-publique.com" sur un échantillon de 1245 internautes. 63 % choisiraient déjà aujourd’hui d’aller à Roissy s’ils devaient prendre l’avion pour un vol international, plutôt qu’à Chaulnes !!

Chaulnes serait condamné à devenir une pure plate-forme de correspondance, un lieu de passage, qui pourrait aider nos voisins européens à déverser leurs nuisances en France en profitant ensuite d’un réseau TGV pour rabattre le trafic et la valeur ajoutée chez eux. Il n’aurait aucun lien avec l’économie locale et sa seule alimentation, en dehors des TGV serait une ligne ferroviaire dédiée avec Roissy, un lien bien fragile!

En fait les vrais absents de tout ce débat sont les clients- usagers. Aucune étude de marché sérieuse n’a été menée et le risque du "big flop" est loin d’être négligeable. Car c’est les clients qui auront, in-fine, raison. S’il ne veulent pas venir dans le Santerre prendre l’avion parce qu’ils jugent que c’est trop loin, aucune compagnie aérienne ne prendra le risque de s'installer dans cet aéroport et le "bide" sera complet.

 

Pensez-vous que, dans ce cas, l’Etat présentera ses excuses aux Picards?

 

"Aéroport Picardie Europe".

 

De "troisième aéroport parisien", terme négatif en Picardie, qui montre bien que cet aéroport est avant tout une affaire "parisienne" (et non nationale ou Européenne comme on voudrait nous le faire croire) avec "Picardie Europe" le gouvernement veut nous vendre la soupe : Que cela sonne bien, que cela flatte.

Pourtant si l’on se réfère au communiqué de presse du gouvernement suite à la réunion interministérielle du jeudi 15 novembre 2001 où la décision des "environs de Chaulnes" a été prise, l’expression "grand bassin parisien" est bien souvent utilisée (4 fois), alors que le mot "Européenne" ne l’est qu’une seule fois. Ainsi : “1. Le gouvernement confirme la nécessité d'une nouvelle plate-forme internationale pour le grand bassin parisien, elle sera implantée autour du secteur de CHAULNES (Somme).” Mais où sont donc la Picardie et l’Europe dans ce communiqué ??

Lors d’un entretien accordé au journal "La Croix", Monsieur Bernard Deserable Président de la chambre de commerce et d’industrie d’Amiens, un peu "bravache" parlait de la peur de Londres et Bruxelles concernant la concurrence que leur ferait ce nouvel aéroport.
Mais, à l’heure de l’Euro, quelle Europe construisons-nous si nous en sommes encore à faire la guerre économique à nos voisins et partenaires européens?

"Picardie Europe" dans ce cas risque d’associer la région Picardie a un "ennemi" de la Belgique et du Royaume uni, qui ne cherche qu’à leur faire concurrence. Belle perspective!!

 

Les sirènes de l’emploi.

 

C’est le grand credo et le grand chantage. Tous derrière l’emploi, tous derrière le grand projet générateur d’emplois et le paradis pour tous en bout de ligne !

C’est donc nouveau, on ne construit plus un aéroport pour transporter des passagers, mais pour créer des emplois. Il suffisait d’y penser; il est vrai que c’est beaucoup plus facile pour appâter les hommes politiques, surtout ceux des villes moyennes ou grandes, de leur faire miroiter, à la veille d’échéances électorales, le bonheur pour tous dans 20 ans.

Je ne suis pas sûr que Bercy valide un tel concept, car une simple division montrerait que le coût de création de ces emplois serait plusieurs fois supérieur au coût de création d’un emploi industriel ou tertiaire.

Savez vous que les départements ou se trouve Roissy et en particulier la Seine-St Denis ont un des taux de chômage les plus élevés et ont vu décroître le niveau des qualifications professionnelles.

Mais l’emploi futur doit surtout se regarder à la fois en solde (positif ou négatif) et en rapport avec la structure économique et sociale actuelle de la région.

Pour ce qui est du solde positif, il n’est pas contestable que pendant le temps du béton (entre trois et cinq ans ?), il y "aura de l’emploi". Mais après cette période qui aura consisté à saper irrémédiablement les principaux piliers de l’économie du Santerre : l’agriculture et l’agroalimentaire (avec les emplois tertiaires qui vont de pair), la nouvelle structure économique de la région généra t-elle véritablement de l’emploi durable et de l’emploi "picard? »

D’un coté, le risque sur l’agroalimentaire, que certains cherchent à minimiser est bien réel. En plus des milliers d’hectares qui seront expropriés et qui changeront de vocation, générant de la perte directe et indirecte d’emploi, les hectares environnant deviendront "suspects" pour l’alimentation humaine, avec les nouvelles règles de suivi des produits. En effet, depuis la crise de la vache folle, l’exigence de tracabilité et de sécurité alimentaire est incontournable, et gare aux régions qui ne pourront donner toutes les garanties de qualité en la matière.

D’un autre coté, les futurs emplois générés par l’exploitation du nouvel aéroport, pour qu’ils existent, encore faudrait-il que celui-ci soit un succès. Et pour cela il faudrait (comme déjà dit) que cet aéroport soit utile, que les prévisions de trafics soient justes, que les compagnies aériennes veuillent bien s’y installer (125 km de Paris ?), que les clients choisissent de prendre l’avion à partir de cet aéroport, et que nos voisins Européens, que nous n’avons pas eu la courtoisie de consulter, et envers qui nous nous sommes clairement placés en concurrents, nous laissent faire.

Faute de quoi tout ceci représentera un énorme gâchis environnemental et social, et à la place de la région que nous connaissons aujourd’hui, avec ses faiblesses et ses atouts, ne subsistera qu’une zone floue, mi-banlieue, mi-friche industrielle.

Quel homme politique responsable décidera de sacrifier immédiatement plusieurs milliers d’emplois à forte valeur ajoutée pour des emplois peu qualifiés, virtuels, dans 20 ou 50 ans, car les emplois qualifiés viendront d’ailleurs?

Quel homme politique national décidera contre l’avis unanime de tous les élus locaux, départementaux, régionaux d’implanter une infrastructure majeure à vocation européenne sans que le début d’un intérêt général ait été esquissé?

Quel homme politique européen peut se permettre d’annoncer un tel projet à 150 km de Bruxelles ( 10 minutes de vol) et 300 km de Londres ( 20 minutes de vol) sans consulter ses partenaires européens sur les conséquences environnementales, sociales, économiques, ni sans évaluer l‘impact sur la sécurité de la navigation aérienne dans une des zones les plus congestionnées de notre planète?

Quel homme politique international ne s’aperçoit pas de la mutation mondiale du trafic aérien et ne considérera pas qu’il est urgent de réfléchir avant de prendre une telle décision?

Le principe de précaution d’une réservation de site, car ce n’est que de cela qu’il s’agit, ne saurait résister bien longtemps à de telles évidences, car réserver un site quand la nécessité n’est pas là ni aujourd’hui, ni demain (la saturation de cet espace ne le permettra de toute façon pas pour des raisons de sécurité) car la distance aux zones de chalandise est excessive, car c’est contraire aux principe d’aménagement du territoire pour un développement durable ne pourrait que conduire à sacrifier un territoire pour rien, comme ce le fut à Beauvilliers pendant plus de 5 ans….

 

Il y a mieux à faire avec cet argent là……

 

J’espère, par ces réflexions, pouvoir participer sereinement au débat pour ou contre ce troisième aéroport, autrement que par de la publicité payante ( mais ou le prix de l’article avait été omis….)

N’ayant pas les moyens financiers me permettant de me faire entendre, j'espère de tout coeur que ma contribution vous intéressera suffisamment pour en faire état dans le Courrier et que votre souci d’impartialité nous donnera, à nous opposants à ce projet, les même chances de se faire entendre que le gouvernement et les lobbyistes pro-aéroport.

La plupart des réflexions que je vous adresse sont issues du site internet que j’ai créé contre le troisième aéroport et qui se trouve à l’adresse http://chaulnes.free.fr

 

Pierry Poquet
Natif de Chaulnes.